Societé

Togo : vie chère, liberté syndicale…dix OSC interpellent Faure Gnassingbé

Face à l’augmentation sans cesse croissante des prix des produits de première nécessité, plusieurs Organisations de la Société Civile saisissent à travers une lettre ouverte les autorités de la République togolaise. Dans ce courrier adressé au Président de la République, à madame le Premier ministre à la Présidente de l’Assemblée Nationale, ces organisations de défense des droits de l’homme et des consommateurs, rappellent au chef de l’État la situation dans les dans laquelle vivent les togolais depuis plusieurs mois déjà. Elles ont profité de cette tribune pour également interpeller, M. Faure Gnassingbé sur la question de la liberté syndicale, de la torture et des prisonniers politiques.

Lisez l’intégralité de la lettre ouverte !

Objet : La vie chère, les atteintes à la liberté syndicale et les prisonniers politiques,
les Togolaises et Togolais n’en peuvent plus !
Monsieur le Président de la République,
Madame le Premier Ministre,
Madame la Présidente de l’Assemblée Nationale,

La vie quotidienne des Togolaises et Togolais que vous régentez depuis des décennies, est ponctuée
ces derniers temps par une actualité nourrie du triptyque vie chère, atteintes à la liberté syndicale et
une multitude de prisonniers politiques, sur laquelle nous nous faisons, une fois de plus, l’obligation
d’attirer votre attention, afin de nous éviter des lendemains incertains.

1. Sur la question de la vie chère
Depuis 2005, et selon les mots mêmes du ministre Christian Trimua, les Togolais vivent dans « un
pays socialement délabré, économiquement exsangue et politiquement divisé ». La minorité qui s’est
accaparée des richesses du pays vit dans un luxe insolent, alors que la majorité croupit dans une misère
effroyable.
C’est dans ce même contexte qu’à peine sortis de la douloureuse et éprouvante crise sanitaire
engendrée par le covid-19, avec un contexte particulier propre au Togo, les Togolais se trouvent déjà et
sans répit, confrontés à la flambée des prix des produits de première nécessité et des denrées
alimentaires, qui ont presque doublé.

L’augmentation récente du prix des carburants, sans aucune mesure d’accompagnement, et que tente
vainement de justifier le ministre Kodjo Adédzé du commerce, de l’industrie et de la consommation
locale, nous paraît un coup de grâce donné par préméditation aux Togolais. En effet, que le ministre du
commerce soutienne sur les antennes de Rfi que : « en 2019, le [pétrole] brut était à 18 dollars le
baril, aujourd’hui il est passé à 110 voire 120 dollars le baril, donc une augmentation exponentielle
qui a suffisamment fait saigner le budget de l’État. Il faudrait l’avouer, si les prix sont maintenus à ce
niveau depuis je crois juillet 2021, c’est parce qu’il y a eu de gros efforts fournis par le gouvernement.
Si nous maintenons les prix au niveau actuel, l’État togolais devra débourser pour une année plus de
60 milliards de subventions »,

Comment le gouvernement togolais pense-t-il être crédible dans ces propos, dans la mesure où
d’abord, le budget de l’État saigne toujours du fait des nombreux détournements des deniers publics
par la minorité ; ensuite que valent les 60 milliards de subventions face aux 500 milliards détournés
dans l’affaire du « petroil-gate » ; et enfin, qu’a fait le gouvernement togolais du rapport de
l’Inspection générale des finances (IFG) du ministère de l’économie et des finances, qui a nommément
désigné les présumés auteurs de cette dérive financière et qui a recommandé qu’ils soient démis de
leurs fonctions et mis à la disposition de la justice pour répondre de leurs actes ? Nul Togolais n’est
désormais dupe.
2. Sur la question de la liberté syndicale
Dans leur déclaration du 20 janvier 2021 relativement à la traque des responsables du Syndicat des
Enseignants du Togo (SET), nos organisations ont tenu à rappeler que « la politique
développementaliste du « silence, on développe » que mène le gouvernement actuel est une pratique surannée qui a montré toutes ses limites dans les années 1980-1990, avec le placement des pays qui
en faisaient l’expérience sous programmes d’ajustements structurels (PAS), après que leurs économies
respectives aient été asphyxiées ; de sorte que de nos jours, toute approche de développement qui ne
conduise à l’élargissement de l’éventail des possibilités offertes aux individus, y compris la garantie
fondamentale de leurs libertés politiques et économiques, est vite vouée à l’échec ».

Il est regrettable de constater que le gouvernement continue d’y faire la sourde oreille et de penser que
les Togolaises et Togolais ne doivent pas avoir de voix et ne doivent pas non plus se mêler de ce qui
les concerne et touche le quotidien de leur vie.
Nos organisations saisissent l’occasion pour dénoncer la supercherie que le gouvernement a fait
imposer aux organisations syndicales du secteur de l’éducation à la page 5 du document portant
« mémorandum d’entente relatif au secteur de l’éducation » du 10 mars 2022, en disposant
abusivement de la « mise en place d’une trêve sociale sur la période 2021-2025 en vue de favoriser la
préservation de l’apaisement et de la sérénité dans le secteur éducatif » ; véritable canular qui fait
renoncer par avance aux enseignants à leurs droits et libertés les plus sacrés et ce, au mépris de l’esprit
et la lettre de l’article 10 de la constitution togolaise du 14 octobre 1992 aux termes duquel : « Tout
être humain porte en lui des droits inaliénables et imprescriptibles. La sauvegarde de ces droits est la
finalité de toute communauté humaine. L’État a l’obligation de les respecter, de les garantir et de les
protéger ». Tout comme le droit à la vie, la liberté est intrinsèquement inhérente à la nature
humaine et on ne peut y renoncer par avance et par simple arrangement, au risque de renoncer
à cette nature humaine elle-même ; toute clause contraire est abusive et doit être réputée non
écrite.

Au moment où un fils du pays en la personne de Monsieur Gilbert Fossoun Houngbo prend la tête de
l’organisation internationale du travail (OIT), il est inconcevable et inadmissible que les ministres
Gilbert Bawara et Dodzi Kokodoko foulent allègrement au pied les règles élémentaires en matière du
travail par des mesures d’indignité, autoritaires et liberticides.
Nos organisations dénoncent, à l’occasion, l’excès de zèle et les dérives liberticides du ministre Komla
Dodzi Kokodoko des enseignements primaire, secondaire, technique et de l’artisanat qui, s’il n’est pas
arrêté dans ses propos incendiaires et va-t-en-guerre, risque de conduire le monde éducatif au chaos et
la nation togolaise à l’abîme. Elles l’invitent donc instamment à observer des comportements dignes de
son rang et à la hauteur de ses responsabilités, en se gardant de propos violents et arrogants qui l’ont
caractérisés dans cette crise.
Nos organisations dénoncent également avec véhémence l’arrêté N°0957/MFPTDS portant mesures
administratives du 30 mars 2022 du ministre Gilbert Bawara de la fonction publique, du travail et du
dialogue social, relevant cent trente-sept (137) enseignants du cadre des fonctionnaires de
l’enseignement et les mettant à la disposition du ministère chargé de la fonction publique, alors même
qu’il y a une insuffisance prononcée du personnel enseignant ; c’est de l’arbitraire pur et simple, de
l’excès et de l’abus du pouvoir.
3. Sur la question de la torture et des prisonniers politiques
Dans son rapport annuel sur la situation des droits humains dans le monde en 2021 rendu public le 29
mars 2022, Amnesty International a dénoncé, aux pages 468 et 469 de son document, la torture et
autres mauvais traitements en ces termes : « Yakoubou Abdoul-Moutawakilou, secrétaire général de la
section de Kpalimé du parti national panafricain, est mort le 26 août, un mois après sa libération
provisoire de la prison de Lomé pour raisons de santé. Arrêté en janvier 2020 et incarcéré jusqu’en
juillet 2021, il était accusé de tentative de complot contre la sécurité intérieure de l’État dans l’affaire
dite de « Tigre Révolution », au titre de laquelle des dizaines de personnes ont été arrêtées et
accusées d’avoir déstabilisé les institutions étatiques dans le contexte de l’élection présidentielle de
2020. Au moins quatre de ces personnes sont mortes en 2020 après avoir été transférées de la prison
de Lomé vers un établissement médical. Le Comité pour la libération de tous les prisonniers
politiques du Togo a dénoncé les mauvais traitements infligés aux personnes détenues dans cette
affaire ».

Cette dénonciation fait suite aux multiples cris et alertes de plusieurs organisations de la société civile
togolaise qui n’ont de cesse attirer l’attention des autorités compétentes sur le fait que les personnes
arrêtées dans le cadre des manifestations politiques de 2017 et 2019 ; de même que celles qui ont été
interpellées dans l’affaire dite « tigre révolution », et bien d’autres encore, responsables et activistes
politiques et des droits de l’homme, ont constamment et de manière concordante allégué avoir été l’objet d’actes de torture, de traitements cruels, inhumains et dégradants de la part des agents
enquêteurs nommément désignés ; et que l’État avait une obligation d’enquêter conformément aux
dispositions de la convention des Nations unies contre la torture du 10 décembre 1984 et du code
pénal togolais. Des stigmates sont apparents, des traces et cicatrices de ces actes déshumanisants sont
visibles sur leur corps. A ce jour, les présumés auteurs d’actes de torture et de mauvais traitements
jouissent d’une totale impunité et courent encore les rues, pendant que les victimes croupissent en
prison.

La dernière décision de la Cour de justice de la communauté CEDEAO qui a jugé arbitraires
l’arrestation et la détention de Monsieur Gabriel Messan Agbéyomé Kodjo dans les locaux du SCRIC,
est la preuve éloquente et suffisante que dans ces genres de dossiers, les juges togolais sont
complaisants et font oeuvre d’un excès de zèle à l’égard du pouvoir togolais.
C’est pourquoi nos organisations recommandent instamment au président de la République, au
gouvernement et à l’Assemblée nationale de :
i. Pour la cherté de la vie , adopter des mesures d’accompagnement idoines, proportionnelles et
contextualisées, afin d’atténuer les effets de la vie chère, notamment par l’exonération des
taxes pour les revendeuses et leur limitation au seul jour de la semaine où s’anime le marché ;
la suppression des frais des payages pour les engins à deux roues, et les rendre journaliers
pour tous les engins ; l’incitation des employeurs des entreprises du secteur parapublic à entrer
en discussions avec les syndicats de base pour le réajustement de leurs salaires par rapport à la
vie chère.
ii. Pour la liberté syndicale , faire cesser les intimidations et menaces proférées contre les
responsables syndicaux et les enseignants ; et dans cette logique, rapporter purement et
simplement l’arrêté N°0957/MFPTDS du ministre de la fonction publique en date du 30 mars
2022 ; dénoncer le contenu du mémorandum d’entente relatif au secteur de l’éducation du 10
mars 2022 qui a été pris sur des bases non consensuelles et arbitraires ; ouvrir un dialogue
sincère avec tous les responsables syndicaux, y compris ceux du SET.
Nos organisations convient le chef de l’État et le gouvernement à gérer la crise du secteur de
l’éducation avec professionnalisme.

Elles invitent également l’Assemblée nationale à interpeller les ministres Gilbert Bawara de la
fonction publique, du travail et du dialogue social et Komla Dodzi Kokodoko des
enseignements primaire, secondaire, technique et de l’artisanat, sur la situation qui prévaut
dans le secteur de l’éducation afin d’éviter la répétition des évènements malheureux qui nous
ont coûté la vie des élèves Anselme Sinandare et Douti Sinalingue.
iii. Pour la torture et les prisonniers politiques , faire libérer tous les prisonniers politiques et
ordonner, par les institutions compétentes, des enquêtes sur les nombreuses et multiples
allégations d’actes de torture et de mauvais traitements, avec toutes les conséquences de droit.
Nous vous prions d’agréer l’expression de notre considération distinguée.

M. Daguerre K. AGBEMADOKPONOU (ALCADES)
M. Monzolouwè B. E. ATCHOLI KAO (ASVITTO)
M. Bassirou TRAORE (GCD)
M. Koffi DANTSEY (GLOB)
M. Poro EGBOHOU (FDP)
Me Célestin Kokouvi G. AGBOGAN (LTDH)
Me Raphaël N. KPANDE-ADZARE (MCM)
M. Issaou SATCHIBOU (MJS)
M. Basile AMENUVEVE (SEET)
M. Emmanuel H. SOGADJI (LCT).


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