Politique : liesse populaire au Sénégal après la libération de Sonko et Cie.
Grosse mobilisation à Dakar et dans les autres villes après la libération de l’opposant Ousmane Sonko et son bras droit, Bassirou Diomaye Faye, candidat aux présidentielles du 24 mars 2024. Une liberté qui répond à la volonté de l’actuel président de la République Macky Sall d’amnistier tous les détenus politiques du pays.
L’annonce est tombée aux alentours de 22 heures, jeudi soir. « Sonko et Diomaye vont sortir de prison, d’une minute à l’autre. Avant minuit, ils vont humer l’air de la liberté », tweetait Madiambal Diagne, journaliste proche du président Macky Sall. La veille, il avait déjà annoncé la libération des deux opposants politiques, membres du parti dissous Pastef-Les Patriotes (Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité). Malgré cette première prédiction qui n’avait pas été avérée, la nouvelle s’est aussitôt répandue comme une traînée de poudre.
Dans différents quartiers de la capitale, les chants résonnent, des cris de joie fusent, des pas de danse sont esquissés… Dakar est à la fête ce jeudi soir et l’ambiance est survoltée. Sur la route aussi, les conducteurs laissent exploser leur joie : les scooters et taxis klaxonnent à tout-va, criant « Sonkooooo ! » à tue-tête.
Devant la maison d’Ousmane Sonko, dans le quartier de Cité Keur Gorgui, c’est l’effervescence : des milliers de personnes convergent au fil des heures vers ce lieu, où Ousmane Sonko et Bassirou Diomaye Faye sont attendus. Venue avec sa fille adolescente, une amie et sa fille, Aminata Sow ne voulait pas rater ce moment. « On aime Sonko, cela faisait longtemps que l’on attendait ce moment, on en rêvait », dit cette mère de famille de 51 ans, tout sourire. Habitant dans le quartier, cette sympathisante vote depuis 2019 pour le président de l’ex-Pastef.
L’atmosphère est fébrile, chacun attend avec impatience l’arrivée tant attendue des deux hommes. Tous les âges sont réunis : des parents sont venus avec leurs enfants, de nombreuses femmes sont présentes et beaucoup de jeunes ont fait le déplacement pour assister à ce moment. « J’ai pris un taxi depuis Yoff (quartier dakarois à environ 25 minutes de route) avec mon grand-frère dès que j’ai su. C’est important d’être là ! Je suis très ému, on espérait cette libération », applaudit Mamadou Ndiaye, âgé de 21 ans. « Sonko est un homme qui aime la loi, un homme droit. Il nous a montré le vrai visage de l’État avec la corruption, les trafics », développe-t-il. Pendant plusieurs heures, la foule patiente, mais son enthousiasme ne faiblit pas.
Des chants repris en chœur viennent galvaniser la foule, quelques feux d’artifice sont même tirés en l’air et des flammes jaillissent de bombes aérosol détournées. Au-dessus de la mêlée, des portraits d’Ousmane Sonko et de Bassirou Diomaye sont brandis. Aux poignets des militants, des bracelets de l’ex-Pastef, signe de reconnaissance, clignotent. « On n’a pas les mots… C’est un sentiment de délivrance. Tout le pays, des millions de Sénégalais attendaient cela. Cela va impacter le moral et la motivation de la campagne électorale, c’est certain », avance Nitdoff, célèbre rappeur sénégalais et activiste. L’artiste a lui-même été incarcéré un an au total pour diffusion de fausses nouvelles, outrage et menaces de mort. « Ils sont notre fierté, car ils se sont battus pour la libération du pays. Nous avons combattu et défendu la bonne cause », assure-t-il. Pour beaucoup de Sénégalais présents ce soir dans les rues, Sonko incarne une alternative. « C’est le seul espoir du pays, c’est notre espoir de changement. Tout son programme me plaît, il va de l’avant et c’est ce dont nous avons besoin pour développer le pays », souligne Djiby Lo, 53 ans.
Ces libérations semblent clôturer une saga politico-judiciaire qui dure depuis maintenant trois ans entre Ousmane Sonko et le président Macky Sall, mais aussi la justice que l’opposant accuse d’être aux ordres du pouvoir. Un rapport de force féroce qui a provoqué de graves émeutes en mars 2021 puis juin 2023, conduisant à une soixantaine de morts, de nombreux blessés et d’importants dégâts matériels dans le pays. Accusé de viols, Ousmane Sonko a toujours dénoncé un « complot politico-judiciaire » destiné à l’empêcher de concourir à l’élection présidentielle de 2024. Arrivé troisième à celle de 2019, cet opposant radical a connu une ascension fulgurante sur la scène politique. Âgé de 49 ans, l’ancien inspecteur des impôts et domaines a créé le parti Pastef-Les Patriotes en janvier 2014. Il s’est fait connaître avec ses diatribes contre un système corrompu et pour ses positions nationalistes. Désormais maire de Ziguinchor (sud du pays), il a également été condamné pour diffamation contre un ministre, ce qui a remis en question son éligibilité, et a été arrêté dans un troisième dossier pour diverses accusations, dont « appel à l’insurrection ». Sa candidature au scrutin présidentiel ayant été rejetée par le Conseil constitutionnel, il a désigné le 19 novembre dernier Bassirou Diomaye Faye comme dauphin pour porter le « projet Pastef ».
Qui est Bassirou Diomaye Faye ?
C’est à la suite de la publication d’un message remettant en cause l’indépendance d’un magistrat que M. Faye est poursuivi pour « outrage à magistrat » et il passera presque un an en détention provisoire, non loin d’Ousmane Sonko. Les deux hommes sont proches et présentent de nombreuses similitudes, au point que la formule « Diomaye mooy Sonko » (« Diomaye, c’est Sonko ») assénée pour encourager les militants et partisans de l’ex-Pastef à soutenir le dauphin choisi en votant pour lui prend tout son sens. Originaires de la même région, ils ont suivi le même parcours académique puisqu’ils ont tous les deux été diplômés de l’École nationale d’administration (ENA). Ils occupent tous deux le poste d’inspecteur des impôts et domaines. C’est d’ailleurs par ce biais qu’ils confondent le parti Pastef-Les Patriotes. Diomaye sera l’homme de l’ombre et Sonko incarnera le parti. L’homme de 44 ans devient secrétaire général du parti en 2022 et dirige également le mouvement national des cadres patriotes ainsi que la diaspora. Il partage avec Ousmane Sonko les mêmes aspirations et visions souverainistes, panafricaniste, ainsi qu’un patriotisme économique. Il a ainsi participé à la rédaction du programme pour la campagne électorale. Entre autres propositions : des réformes institutionnelles telles que la suppression du poste de Premier ministre et la création du poste de vice-président, la création d’une monnaie locale pour sortir du franc CFA ou encore la renégociation des contrats pétroliers et gaziers du Sénégal pour un plus large contrôle des ressources. Un positionnement qui séduit beaucoup la jeunesse, l’essentiel de son électoral, mais pas seulement. De plus en plus, ce discours radical parle aux Sénégalais désireux d’un changement après douze ans de pouvoir de Macky Sall. Celui qui n’a jamais pensé à faire de la politique se retrouve désormais en première ligne et propulsé candidat dans une élection plus ouverte que jamais. Sans expérience politique et jamais élu, il peut néanmoins, grâce à la validation d’Ousmane Sonko, bénéficier de la machine électorale ex-Pastef et du soutien des militants qui suivent le mot d’ordre du président.
Avec leur libération, c’est toute la campagne électorale, inédite, car raccourcie à deux semaines (au lieu des trois habituelles) et se déroulant pendant la période de ramadan, qui va être bousculée.